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L’affiche de la finale de la Ligue des champions 2021 entre Manchester City et Chelsea est aussi une opposition entre deux entraîneurs portés par une vision du football protagoniste. Si d’un côté, on parlera plutôt d’un Jeu positionnel prôné par Thomas Tuchel, de l’autre, on retrouve le Jeu de position appliqué fièrement par Pep Guardiola. Comment comprendre leurs différences ? La réponse avec Pierre Mazet, éducateur et fervent étudiant du jeu de position.
« Pour moi, le Jeu de position, au-delà de la position que chacun doit occuper, c’est avant tout la lecture des espaces. Ces espaces, on doit les utiliser, les occuper, les libérer ou les créer pour son propre bénéfice. Si l’adversaire ne te concède que très peu d’espaces où lui faire mal entre les lignes, à un moment, tu devras attaquer dans le dos de la dernière ligne ou bien par les côtés ou encore positionner des joueurs clés dans des espaces où ils retiendront l’attention de ton adversaire. Tout ça afin que les espaces que tu souhaites réellement attaquer et qui étaient inexistants auparavant, s’agrandissent. Le problème de tout ce que l’on vient de dire c’est qu’au final, le timing conditionne tout. » Sur le site nosotrosxp.com, l’actuel entraîneur de l’équipe masculine des U20 de Koweït et ancien formateur au FC Barcelone Carles Martinez Novell donnait sa définition du Jeu de position, qui a pris sa source au Barça dès les années 1970.
« Il y a eu un alignement des planètes au FC Barcelone qui a commencé avec l’arrivée de Rinus Michels sur le banc catalan au début des années 1970, et qui a fait venir avec lui Johan Cruyff. On pouvait trouver des stigmates du Jeu de position dans le football total proposé par Rinus Michels et quand Cruyff a été au commande de l’équipe dans les années 1990, les joueurs étaient déjà sensibilisés à cette idée de jeu. On pense souvent que c’est Cruyff qui a inventé le “rondo” (connu sous le terme de « toro » en français) à l’entraînement mais en réalité, c’est Laureano Ruiz, qui faisait déjà cet exercice au Racing Santander, qui a importé ça au Barça. Il n’y a rien d original dans ce que je vais dire mais Johan Cruyff est pour moi le véritable génie de cette idée du jeu. Ensuite, le Néerlandais a amené le Jeu de Position en tant que procédé avec ce joueur à l’intérieur, “le joueur à 360°”, et la création de triangles. Pep Guardiola est l’enfant de tout cela mais il lui a apporté un caractère encore plus liquide », nous indique Pierre Mazet, entraîneur d’une équipe de U16 masculine de Saint Pierre du Mont dans les Landes (R1) et actuellement étudiant de la méthodologie d’entrainement du FC Barcelone via la plateforme de formation en ligne du club.
Les différents concepts du jeu de position
Avant d’aller plus loin dans l’analyse du Jeu de position et de sa complexité, évacuons tout de suite ses concepts, qui cependant ne permettent pas de le définir à eux seuls.
Les espaces
Il y a tout d’abord l’idée d’espaces de Phase, conceptualisée par Paco Seirul·lo (le directeur de la méthodologie d’entraînement au FC Barcelone), qui sont des espaces répartis selon des zones d’influence sur le terrain en fonction de la localisation de la balle. L’espace entre le porteur de balle et le premier adversaire direct est appelé « espace d’intervention ». L’espace qui regroupe tous les partenaires proches du porteur de balle est « l’espace d’aide mutuelle » et l’espace qui contient les partenaires plus éloignés du porteur est « l’espace de coopération ».
« En fait, ces espaces se redéfinisent sans cesse à chaque mouvement de la balle et les joueurs peuvent y avoir un ou plusieurs rôles fonctionnels en même temps, et cela même quand ils ne sont pas proches du ballon. Si j’ai toujours une fonction dans le jeu, où que je sois sur le terrain, je suis utile pour l’équipe. Donc si je suis l’excentré, à l’opposé du ballon, et que je ne touche pas le ballon pendant 2 ou 3 minutes, je sais que j’ai en réalité une utilité pour l’équipe donc je ne suis pas frustré et je ne vais pas rentrer à l’intérieur du jeu et « bouffer » l’espace d’un coéquipier pour toucher le ballon. De par mon positionnement, comme le dit Paco Seirul·lo, je vais “offrir de l’oxygène aux joueurs qui sont dans les espaces d’aide mutuelle et l’espace d’intervention”. On facilite ainsi la capacité à être connecté à ses partenaires et au jeu dans l’avant, le pendant et l’après », précise Pierre Mazet.
Les couloirs et les zones
Dans le Jeu de position, le terrain est découpé en cinq couloirs verticaux: les deux côtés, les deux couloirs « centraux » gauche et droit (appellation privilégiée par rapport au terme anglais « half-space ») et le couloir axial.
Horizontalement, le terrain peut être défini en trois zones dynamiques qui bougent sans cesse selon les déplacements du ballon et des joueurs: 1) la zone d’initiation, qui est l’espace devant la première ligne de pression adverse, 2) la zone de progression, qui est la zone à l’intérieur du bloc adverse avec une forte concentration de joueurs et où la pression sera logiquement forte, 3) la zone de finition, qui correspond à l’espace derrière la ligne défensive
Les zones ne sont pas figées, elles évoluent selon le mouvement du ballon et des joueurs
L’échelonnement
C’est l’idée de ne pas se situer sur la même ligne (horizontalement ou verticalement) que ses coéquipiers proches pour multiplier les options de passe et empêcher un adversaire de pouvoir défendre sur deux joueurs en même temps. Se positionner à différentes hauteurs permet in fine de créer des supériorités positionnelles, de menacer le dos de la ligne qui nous presse, avec en conséquence la formation des fameux triangles sur le terrain. Et cela permet aussi une plus grande facilité à récupérer le ballon en cas de perte.
Le fait que le latéral, le milieu et l’ailier ne soient pas situés au même hauteur permet une facilitation de la création de lignes de passe
Le positionnement des joueurs à différentes hauteurs permet la création des fameux triangles sur le terrain
L’amplitude
L’amplitude définit l’idée d’occuper le plus d’espace possible sur la largeur du terrain afin d’agrandir la surface de jeu et étirer l’adversaire. Cela permet aussi aux joueurs à l’intérieur du jeu d’avoir plus d’espace et de temps à exploiter.
En étant écartés, les ailiers permettent au milieu droit et à l’attaquant central d’avoir plus d’espace à exploiter. Ils ont permis d’oxygéner le jeu
Conduire la balle, « la conduccion »
Dans l’objectif de pouvoir libérer un partenaire, le porteur de balle va être amené à conduire la balle, c’est-à-dire conserver le ballon en avançant ou en reculant afin d’attirer son adversaire vers lui. Ce qu’il faut comprendre dans « la conduccion », qui est le terme en espagnol, c’est qu’il faut en réalité fixer un joueur qui n’est pas son adversaire direct pour pouvoir vraiment libérer un coéquipier car si je fixe l’adversaire dans ma zone, je ne libère personne. Par contre, si je vais fixer l’adversaire direct d’un coéquipier alors je lui permets d’être libre.
En conduisant le ballon vers l’avant, le défenseur droit va forcer l’adversaire, initialement en charge du latéral droit, de sortir sur lui. Ce qui permettra de libérer le latéral droit
Le défenseur droit avance et contraint le défenseur à faire un choix qui va permettre au latéral droit d’être servi dans de bonnes conditions et qui lui-même va attirer un adversaire vers lui, ce qui libérera son coéquipier situé dans le dos du défenseur
Grâce à l’intervention d’un joueur relais, l’ailier pourra être servi et être à son tour dans de bonnes conditions. Tout est parti de la conduccion du défenseur droit
Les différents rôles fonctionnels
Chaque joueur, à chaque moment, va occuper un rôle fonctionnel. Voici les principales fonctions attribuées aux joueurs sur le terrain, qui changeront constamment selon le mouvement du ballon.
Le porteur de balle: c’est le joueur en possession du ballon et qui peut décider de le conduire pour devenir un attracteur.
L’attracteur: c’est un joueur qui par son mouvement, avec ou sans ballon, va attirer un adversaire pour libérer un espace pour un de ses partenaires.
Le fixateur: c’est un joueur qui par son positionnement fixe va figer un ou plusieurs adversaires, ce qui va libérer des espaces pour ses partenaires
Le récepteur immédiat: c’est un joueur qui par son positionnement par rapport au porteur de balle va pouvoir être facilement et directement trouvé pour prolonger la conservation du ballon.
Le récepteur médian: c’est un joueur qui par son positionnement par rapport au porteur de balle ne pourra pas être trouvé facilement et directement mais qui pourra l’être dans un deuxième temps grâce à un coéquipier qui fera le relais.
L’homme libre: c’est un joueur qui, grâce au positionnement de ses coéquipiers et aux rôles qu’ils vont jouer pour attirer les adversaires, va se retrouver libre et bénéficier de beaucoup de temps et d’espace s’il reçoit le ballon.
L’attraction et la fixation des récepteurs immédiats et médians a permis de créer un homme libre qui va avoir du temps et de l’espace pour aller de l’avant
Le troisième homme: c’est un joueur qui ne sera pas libre car bloqué par un adversaire dans un premier temps mais qui grâce à l’intervention d’un joueur relais pourra être servi dans un troisième temps dans des bonnes conditions, souvent en position d’homme libre face au jeu.
Sur cette action, la passe vers le défenseur est gauche est impossible en raison de la présence d’un adversaire
Pour rendre cet accès possible, il faut l’intervention d’un joueur relais
Grâce à l’intervention du joueur relais, le troisième homme est trouvé et peut avancer avec du temps et de l’espace
Le compensateur: c’est un joueur qui, lorsque son équipe a le ballon, doit anticiper son éventuelle perte et se positionner de façon à pouvoir intervenir rapidement sur les éventuels récepteurs immédiats adverses voire même le nouveau porteur de balle adverse. On dit aussi que ces joueurs sont en vigilance offensive.
De par leur proximité avec le porteur de balle et leurs adversaires directs, les joueurs indiqués sont en vigilance offensive
Les supériorités et les avantages
Dans le jeu de position, on parle aussi d’avantages et de supériorités qui vont se créer au fur et à mesure du mouvement de ballon. On distingue quatre types de supériorité
La supériorité numérique
Il s’agit tout simplement de compter plus de joueurs que l’adversaire dans une partie ou une zone du terrain. La première supériorité numérique est donnée par le gardien de but car en participant activement à l’élaboration du jeu, il devient un onzième joueur de champ face à 10 adversaires.
6 contre 3 = supériorité numérique
La supériorité positionnelle
Dans des situations d’égalité voire d’infériorité numérique, il s’agit d’avoir un meilleur positionnement que l’adversaire pour sortir le ballon d’une zone de pression et le conserver voire le faire avancer. « La supériorité positionnelle est plus importante que la supériorité numérique. On peut être en égalité numérique ou en infériorité numérique et pour autant, avec de l’astuce et du talent, obtenir une supériorité positionnelle », indiquait Mikel Etxarri, ancien directeur sportif de la Real Sociedad.
Le 6 contre 6 est nettement à l’avantage de l’équipe en possession du ballon grâce à l’échelonnement des joueurs
La supériorité qualitative
C’est l’idée que l’on puisse être en égalité numérique mais que la qualité des joueurs va changer le rapport de force. Au Bayern Munich de Pep Guardiola, on retrouvait souvent les ailiers théoriquement en un-contre-un mais de par leur vitesse et leur qualité de dribble, ils étaient souvent en réalité en supériorité qualitative par rapport à leur adversaire.
Le Jeu de position peut permettre de créer des situations de 1-contre-1 avec un joueur offensif nettement supérieur à son adversaire direct
La supériorité socio-affective
Il s’agit d’un haut niveau de connexion, de coopération, de communication entre les coéquipiers qui font que même dans une situation nette d’infériorité numérique, les joueurs vont trouver une solution pour s’en sortir grâce à leur complicité autant technique, qu’affective qui aura été établi à l’entraînement et à force de collaboration via le Jeu de position. Pour illustrer la supériorité socio-affective, on peut parler de la relation Messi-Daniel Alves au Barça sur le côté droit ou du trio Busquets-Xavi-Iniesta dans le cœur du jeu.
À force de coopérer quotidiennement, les joueurs vont nouer une relation socio-affective particulière qui leur permettra de trouver des solutions dans n’importe quelle situation
Il est très important de noter que dans le Jeu de position, le jeu n’est pas découpé en plusieurs phases du type: phase offensive, phase défensive, transition offensive/défensive, transition défensive/offensive. Non, les phases de jeu se succèdent ou se précèdent dans une continuité et c’est pourquoi on parle d’espaces de Phase plutôt que de phases de jeu. « Le Jeu de position n’est effectivement pas découpé en phases de jeu. Il s’agit donc d’une succession de phases, c’est-à-dire qu’à chaque mouvement de la balle, les espaces de Phase vont se redéfinir. Entre le moment où le ballon va partir du central gauche vers le latéral gauche, l’espace d’intervention ne sera plus le même, comme l’espace d’aide mutuelle et de coopération. Et sur ce transfert-là, mon numéro 6 qui reste dans l’espace d’aide mutuelle peut avoir une fonction différente. Peut-être qu’au départ de l’action, il était fixateur pour permettre au central d’avoir du temps avec le ballon et quand le ballon est arrivé au latéral gauche, il est devenu compensateur pour éventuellement empêcher une contre-attaque de l’adversaire ou attracteur pour offrir une voie de communication à un partenaire plus haut », nous éclaire Pierre Mazet.
Les différents espaces de Phase au départ de l’action: l’espace d’initiation dans le cercle jaune, l’espace d’aide mutuelle en rouge et l’espace de coopération en vert
L’évolution des espaces de Phase après la passe vers le latéral gauche
Comprendre le « pourquoi » du jeu de position plutôt que le « comment »
Connaître les différents concepts du jeu de position ne suffit donc pas à le comprendre et à le définir. « Les mots et les images sont des ombres ce n’est pas la réalité », disait le philosophe Jiddu Krishnamurti, quand Paco Seirul·lo faisait remarquer que « le Jeu de Position était un langage qu’on apprenait au cours de sa vie sportive et qu’il n’y avait pas de rendement immédiat. Aussi, il doit toujours y avoir une cohérence entre la pratique et l’idée de jeu. »
Le terme « Jeu de position » peut d’ailleurs porter à confusion car cela peut faire penser à quelque chose de statique. Or, le Jeu de position est en réalité très liquide comme nous l’explique Pierre Mazet: « on parle aussi de Jeu d’emplacement (juego de ubicacion) en Espagne mais en réalité, la position concerne surtout la posture. Comment mon corps est positionné par rapport au ballon ? Juan Manuel Lillo, l’actuel adjoint et mentor de Pep Guardiola, disait “qu’on pouvait être bien positionné et mal situé sur le terrain comme on pouvait être bien situé et mal positionné”. Donc en fait, le Jeu de position, c’est trouver une bonne adéquation entre les deux. Les Espagnols traduisent donc ça par jeu d’emplacement, en rajoutant alors la notion de mouvement. Donc dans chaque espace de Phase chaque joueur aura un “emplacement”, c’est-à-dire un “profil”, dans un lieu donné et il le fera dans un moment concret. En alliant les notions de localisation sur le terrain et de mouvement, on tend vers un jeu plus fluide ou plus liquide. C’est-à-dire qu’il n’est pas figé et qu’il évolue sans cesse. Et en conséquence il présente un caractère plus circulant. Il ne faut pas non plus trop s’attacher aux différents rôles fonctionnels. Pour les joueurs, le Jeu doit se vivre plus que se lire. On s’attache parfois trop “au comment” et aux concepts. Ils sont importants mais ils ne sont pas responsables d’un changement profond. Il faut plutôt répondre “au pourquoi”. Comme le dit Isaac Guerrero dans son livre “l’entrainement systémique basé dans les émotions”, on gagne le cerveau avec le “pourquoi”. »
Plus qu’un modèle de jeu, le Jeu de position demeure en réalité une véritable philosophie où les idées sont donc plus importantes que les concepts à appliquer. « Le Jeu de position, c’est la volonté d’être protagoniste dans le jeu et s’organiser par rapport à la balle. C’est considérer que le ballon est le transmetteur principal du message ou plus simplement l’énergie du jeu. Le jeu de position a évolué au fil du temps et il a plusieurs conceptions différentes mais au FC Barcelone, il y a l’idée qu’à chaque espace de Phase, la priorité absolue est de communiquer au travers de la balle et de progresser ensemble. Juan Manuel Lillo disait “que le jeu de position, ce n’était pas voyager dans le même train mais dans le même wagon”. En France, on comprend mal le Jeu de position car on le voit sous un prisme de jeu d’avantages avec une notion de verticalité et de progression qui est très présente dans le jeu de position originel mais qui ne l’est pas forcément dans la façon dont le Barça et Guardiola le travaillent », synthétise Pierre Mazet.
Il poursuit: « Aujourd’hui au Barça, on parle de la règle des trois R. Avant, on parlait de la règle des trois P: Position, Possession et Pression, mais la règle a évolué pour devenir les trois R: se Redistribuer, se Resituer et Récupérer. C’est à partir de ces trois règles que le reste va apparaître. En appliquant ça, les joueurs vont naturellement occuper les cinq couloirs, ils vont naturellement être à des hauteurs différentes et les triangles vont naturellement apparaître sur le terrain. On va aussi trouver l’idée de distribution géométrique dans l’espace. Grâce à Paco Seirul·lo, responsable de la méthodologie de l’entraînement au FC Barcelone, le jeu de position a rencontré les sciences de la complexité car il a fait le lien entre les termes des sciences de la complexité et le jeu tel qu’il le vivait. La notion d’espace de Phase a aussi été empruntée aux sciences de la complexité et elle traduit non pas des situations de jeu isolées les unes des autres mais donc des espaces de Phase stochastiques, dans la mesure où l’espace de Phase P a une incidence sur l’espace de Phase suivant P+1, mais pour autant l’incertitude est toujours présente et, tu ne peux pas savoir exactement ce qui se passera à l’espace de phase P+1. Chaque phase est donc conditionnée par la précédente et par le hasard du jeu. Il faut basculer d’un monde de “si … alors” à un monde de “probable”. Par exemple, si je fais tel déplacement il est “probable” que… Mais rien n’est jamais sûr dans ce jeu. »
Jeu de position vs Jeu positionnel
Pour Pierre Mazet, il existe une nuance entre le Jeu de position et un Jeu que l’on pourrait définir comme positionnel voire Jeu d’avantage. Il décortique : « on peut distinguer les équipes qui ont un Jeu positionnel avec les équipes qui adoptent un vrai Jeu de position. Par exemple, le Naples de Maurizio Sarri ou le Chelsea de Thomas Tuchel, c’est du Jeu positionnel selon moi. C’est-à-dire que l’on retrouve à l’intérieur des principes du Jeu de position comme l’occupation intelligente des espaces, les cinq couloirs, le fait d’être à des hauteurs différentes. On retrouve à Chelsea le côté circulant des positions, avec des joueurs qui peuvent changer de position entre eux, notamment dans les couloirs. Ce genre d’équipes pratiquent un Jeu positionnel parce que la différence avec le Jeu de position est tout d’abord philosophique et concerne le temps dont les choses sont faites. Dans le Naples de Sarri, le Chelsea de Tuchel voire le Liverpool de Klopp, qui pratique aussi un Jeu positionnel, on peut voir une notion de verticalité beaucoup plus présente que dans le Jeu de position que pratiquent les équipes de Pep Guardiola. Ce qui ne veut pas dire que ses équipes s’interdisent le jeu direct, on l’a vu lors du match retour entre Manchester City et le PSG avec la passe d’Ederson pour Zinchenko avant le but de Mahrez. Mais dans le jeu des équipes que j’ai citées, cette verticalité fait partie des traits généraux et il devient difficile de presser à la perte de balle car avec cette recherche de verticalité, les joueurs sont plus éloignés les uns des autres. Donc, nous avons les deux premiers R mais pas le dernier R, qui est la récupération, en raison de cette distance entre les joueurs dans la construction et à la perte. Et c’est ce dernier R que Guardiola a changé depuis 6 mois. Pour mieux défendre je dois mieux attaquer en faisant référence au continuum du jeu. »
L’entraîneur français ajoute: « Quelle analyse Guardiola a–t–il fait en novembre/décembre ? “On court trop, on est trop loin les uns des autres, on va trop vite dans le camp adverse”. Ce qui a alors changé, c’est la gestion du TEMPS de son équipe. On confond trop souvent patience et passivité. Mais en étant plus patients dans la progression, les joueurs sont sur des distances de passes plus courtes, plus optimales pour permettre de récupérer le ballon beaucoup plus facilement en ayant moins de course à faire. Évidemment, quand tu fais des passes plus courtes, tu te mets aussi plus sous la pression de l’adversaire donc tu risques plus de pertes de balle. Mais quand tu as des distances de relation plus grandes, tu prends aussi le risque de perdre des ballons car les passes sont plus difficiles à faire et tu as plus de distance à parcourir pour le récupérer. C’est pour ça qu’on dit que s’il le pouvait, Guardiola mettrait 11 Iniesta sur le terrain parce qu’il aurait 11 joueurs “à 360°” en capacité de jouer sous pression. Quand j’ai vu la première mi-temps du match contre Liverpool en février et la patience prise dans la construction du jeu par Manchester City, cela m’a fait penser à des mots d’Oscar Cano, ancien sélectionneur de l’équipe U19 du Qatar, dans “the Tactical Room, numéro 28” à propos du match Seville-Barcelone en 2016/2017, quand Juanma Lillo était alors adjoint de Sampaoli. Il a dit, je cite: “quand j’ai commencé à m’intéresser à ce jeu il y a 25 ans, une des aspirations que nous avions avec Juanma Lillo et quelques autres, c’était de voir sur le terrain chacun des joueurs prendre le temps de faire les choses. Pendant cette première mi-temps, chacun des joueurs sévillans, peu habitués à cet art, prenaient le temps juste pour détruire absolument toute tentative de pression.” Voilà ce qu’est, d’après moi, l’apport essentiel de Juanma Lillo auprès de Pep Guardiola : Sérénité et Patience dans la gestion de cet élément différentiel qu’est le TEMPS. Ce dernier se vit en équipe et non à travers des concepts. »
Entre le contre-pressing de Chelsea et la récupération rapide de Manchester City après la perte de balle, la différence n’est pas évidente. Alors comment distinguer ces deux concepts ? « Guardiola disait que pour pouvoir presser à la perte de balle, il fallait un minimum de 15 passes. Encore une fois dans cette idée d’avoir des joueurs proches les uns des autres. Il a donc établi la règle des 5 secondes pour récupérer le ballon, qui est très proche de la règle des 7 secondes du contre-pressing mais on m’a expliqué que la différence se situait dans l’intensité et sur ce que faisaient les joueurs. Dans la règle des 5 secondes, tu vas avoir un ou deux joueurs dans la zone de perte qui vont presser le nouveau porteur de balle et les autres, qui vont être dans des mouvements de couverture et vont couper des lignes de passe tandis que dans le contre-pressing, il n’y aurait pas cette notion de couper les lignes de passe mais plus d’entourer rapidement le porteur de balle avec plusieurs joueurs pour le récupérer rapidement. Personnellement, je ne trouve pas que la différence soit nette et clairement visible mais dans l’idée, c’est ça », argumente l’éducateur.
Voici une récupération de balle dans le Jeu de position
Voici un contre-pressing
Pour pratiquer un « vrai » Jeu de position, deux notions qui font rapport au temps sont donc particulièrement cruciales: la patience et le timing. Pierre Mazet: « il y a un texte d’Oscar Cano qui dit que le Jeu de position, c’est Iniesta. Soit donner du temps et de l’espace, améliorer les circonstances de celui à qui tu donnes le ballon. C’est comprendre le sens de toutes relations avec ses partenaires. Partir séparés pour arriver ensemble. C’est savoir ce que signifie mon intervention avec le ballon et mesurer que ma non-intervention facilite les choses. Je pense qu’en France, on pratique plutôt le Jeu d’avantage, car il correspond davantage à notre culture française et aux types de joueurs que l’on a, qui aiment bien les un-contre-un, qui aiment la verticalité et qui ont plus de difficulté avec cette notion de patience. Dans le Jeu d’avantage, on va chercher à avoir des supériorités sur le terrain. Elles deviendraient les objectifs prioritaires du jeu. Mais cela induit chez les joueurs que dès qu’il y a une supériorité numérique de 2-contre-1, ils doivent en profiter. Que dès qu’il y a une supériorité positionnelle, ils doivent en profiter. Mais parfois ne pas en profiter tout de suite comme le dit mon ami Nicolas Chabot au FC Nantes, “c’est s’offrir l’opportunité d’en créer un autre plus conséquent 4 ou 5 temps de jeu après et qui cette fois-ci nous permettra de finir devant le but”. Au Barça, on estime que le but adverse jouera le rôle d’aimant de façon naturelle et avant de penser à verticaliser le jeu, on va d’abord s’assurer que les jeunes soient en capacité de communiquer entre eux grâce à la balle, de disposer du ballon en créant des espaces de Phase favorables pour eux. »
Jeu de position, Jeu positionnel, Jeu d’avantage. Peu importe les nuances, ces jeux sont conditionnés et articulés autour du ballon pour divertir les joueurs et les spectateurs. Avec ce football protagoniste, le jeu est roi. « Au Barça, il y a eu tout un travail sur les mots utilisés. Par exemple, dans un rondo, les joueurs à l’intérieur de l’espace de jeu sont appelés des récupérateurs parce qu’ils doivent récupérer ce qui appartient à l’équipe: le ballon. Ils ne doivent pas le voler, ils doivent le récupérer car le ballon leur appartient et ils veulent s’amuser avec. D’ailleurs, on ne va pas parler d’adversaires ou de rivaux mais plutôt d’opposants car Paco Seirul·lo a retiré tout le vocabulaire guerrier du lexique du jeu de la Masia », précise Pierre Mazet. Avant de conclure: « je suis très content pour Pep Guardiola et Thomas Tuchel. Ils sont de véritables symboles de ce qu’Oscar Cano appelle des “entraineurs-artisans” trouvant l’équilibre entre le jeu qui les émeut et les caractéristiques des joueurs qu’ils ont dans leur équipe. Cette finale de Ligue des champions ne peut donc pas se résumer à un duel Tuchel-Guardiola car le jeu est dans les joueurs, même s’ils ont à coup sûr avec leur staff une réelle influence sur l’expression collective de leur équipe. Pour moi, peu importe le résultat de la finale, les deux ont déjà gagné car ils sont tous les deux dans un endroit où ils peuvent travailler en étant eux-mêmes.» L’identité, c’est peut-être finalement le maître-mot du Jeu de position.
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